C’est par où la sortie: Armet-toi de patience…
Un récit de JY:
Comme souvent, l’idée germe un jeudi soir : après 3j de grippe à être bien amoindri, il est temps pour moi de prendre l’air. Je contacte donc Marco, qui, sortant d’une semaine de formation cascades de glace, est bien motivé pour remettre le couvert ce week-end. Nous tombons vite d’accord pour sortir à la journée au départ de Valence. Je partage l’idée avec quelques larrons susceptibles d’être intéressés et bientôt, nous sommes potentiellement 5 prétendants. Les plans sont encore très flous, entre 3 ou 4 idées à ajuster en fonction des participants et des conditions.
Le vendredi soir, on s’oriente vers un départ le samedi. Aussi, Louis décline (dispo le dimanche uniquement). Je rejoins Dom à la salle pour discuter de vive voix de notre sortie. On échange au tel avec Marc. Et on y passes des plombes : on tergiverse et l’on se pose mille questions. Car il est en effet compliqué de concilier contraintes matos (Dom n’a pas de skis), niveau technique, infos fraiches des conditions, envies de chacun, … Bref, on finit par trancher, sans grande conviction, pour le cirque de l’Armet, voie The North Way. Manu, alerté tardivement, ne nous rejoindra pas. Donc nous partirons à 3. Ne reste plus qu’à fixer la douloureuse : l’heure de RdV. Vue l’ampleur de l’itinéraire envisagé, ce sera donc départ à 5h30 … Aïe, que la nuit va être courte !
De bon matin et de bonne humeur (à défaut d’être bien éveillés !), nous nous retrouvons donc à partir de la salle à l’heure prévue. L’autoroute est déserte et nous arrivons efficacement à destination, Lavaldens près de La Morte. Nous faisons nos sacs en veillant à bien prendre tout le nécessaire mais sans superflu (tout un art !) puis attaquons la marche d’approche. Il est 7h45.

Nous avançons à bon rythme dans ce fond de vallon rocailleux dominé par des hautes faces plutôt sèches. Les lignes semblent cependant formées (goulottes et cascades). Nous hésitons à marcher jusqu’au pied des plaquages de neige et glace de la Voie du Nord ou à remonter directement la goulotte menant à l’éperon Ouest. Nous finissons par opter par la 2e idée : à l’aplomb de la goulotte de l’éperon O de la Pointe de l’Armet. Après avoir remonté des pentes des rhododendrons peu enneigées, nous nous équipons au niveau d’un bloc caractéristique où nous déposons nos bâtons. Puis nous partons de l’autre côté de la coulée, dans la pente de neige juste à gauche (rive droite) des lignes Pimprenelle et Nicolas. Il est déjà 9h.

Je prends la tête de la cordée (je ne lâcherais plus de la journée). La neige n’est pas très gelée mais la qualité reste correcte. Mais notre progression n’est pas supersonique. En effet, les copains souhaitent que je pose des protections intermédiaires et cela qui prend du temps. J’avoue être sceptique sur cette stratégie car il s’agit d’une pente en neige… Mais Dom n’a pas une grande expérience de ce type de grimpe et une chute de sa part serait synonyme de glissade pour nous trois. Donc je protège. Nous remontons sans encombre le 1er ressaut de 120m, proposant une grande pente à 45-50° en neige avec qq pas plus raides et un poil de glace. A sa sortie, je suis cueilli par une pierre lancée à pleine vitesse. Je l’évite et alerte mes comparses en braillant mais Dom se la prend sur la tête : un pet au casque, on appelle ça… Plus de peur que de mal heureusement.

A mon aplomb, c’est tout sec. Aussi, je fais un crochet à gauche pour trouver une jolie ligne raide avec même un peu de glace itou ! Je sors du raide et plante un bon piton pour assurer mes seconds. Ils me rejoignent sans peine. J’enchaîne sur ma gauche (Sud !) par une pente plus raide suivie de mauvais raides plaquages d’une glace cassante sur rocher mouillé et mottes d’herbes… Le gel n’est pas de la partie et je trépigne pour sortir de cette mauvaise passe. Un vrai bonheur… Je pose une broche sitôt sorti : question de moral ! Puis j’enchaîne de nouveau plein Ouest dans des pentes de neige entrecoupées de bouts de glace détrempée. Mais les cordes me tirent sans cesse vers le bas. Je m’arrête faire relais. Une fois les amis arrivés, je leur fais part de mon inquiétude quant-à notre allure, bien trop lente à mon goût. On raccourcit donc l’encordement pour poursuivre en tendu. Ce sera avec protections intermédiaires car Marc ne sent pas du tout la progression autrement…

Je passe donc la seconde et enchaîne à bon rythme les raides et homogènes pentes de neige qui suivent. J’ai beau poser une protection tous les 25m et tracer dans une poudre lourde, la cadence devient trop soutenue pour Dom. Il a le souffle court et en bave : les relais de récupération du matos sont ses moments préférés… Mais vue que la progression redevenant correcte et cohérente avec l’ampleur de l’itinéraire, je maintiens ce train malgré tout… Nous progressons ainsi plutôt bien jusqu’en haut de la ligne de neige : je m’arrête à un vague col, au pied de l’arête, pour le plus grand bonheur de Dom ! 4 chamois nous narguent en dévalant ces raides pentes de neige à tombeau ouvert : impressionnant ! Dom est désormais bien entamé : la petite pause grignotte hydratation est plus que bienvenue… Nous sommes en haut de la partie neigeuse et au pied des difficultés de l’itinéraire, l’arête. Il est 13h30.

Après s’être quelque peu requinqué et avoir récupéré le matériel, je repars dré dans l’pentu. La neige est très lourde et bien peu portante : l’enfoncement atteint parfois la taille…. La progression est ainsi bien plus lente car plus technique : on est entre rocher (plutôt bon) et arêtes de neige raide. C’est esthétique mais cela demande vigilance et concentration car l’itinéraire ne se laisse pas facilement trouver. On tire plus ou moins des longueurs pour que les zig-zag de la progression ne génèrent pas trop de tirage. Malgré ce tempo piano, Dom accuse le coup et traîne la patte. L’arête devient désormais purement rocheuse et, après une brèche, nous réserve même un pas de V… Le coin ne me plait guère et j’en perds mon sang froid, pestant contre un rocher désormais des plus interactifs : je ne compte en effet plus les blocs de la taille de frigos que j’envoie dans l’abîme… Je m’exfiltre par la droite (Sud) et établis un relais correct pour y assurer mes compagnons.

Le soleil descend inexorablement à l’horizon : j’ai perdu un temps précieux à m’échiner dans ce passage… Puis je poursuis en ascendance au Sud et versant Sud Ouest. D’abord en remontant un dièdre herbeux et péteux puis par une raide désescalade et une énième traversée à droite pour atteindre un bon becquet. Ces passages sont délicats et nous tirons des longueurs avec pas mal de points de protection. Cela prend donc du temps. Sur le becquet, voyant la neige toute proche en contrebas, nous installons un rappel : 20m de descente sur la corde nous permettent de rejoindre des pentes où la progression, bien que dans une neige lourde et printanière qui enfonce énormément, reste plus rapide qu’en rocher. Je repars droit et insiste même si la corde me tire toujours plus fort et de plus en plus fréquemment vers le bas. A l’autre bout de la corde rose, Dom est à la lutte avec ses mollets en feu qui semblent refuser de le porter… Ces pratiques pentes de neige ne durent pas et l’on finit par rejoindre des zones mixtes puis rocheuses. J’essaie de toujours tirer à droite pour m’en échapper vers des zones plus blanches et d’apparence plus aimables. A l’aplomb d’une cheminée très raide, je cherche à contourner ce ressaut mais rencontre une impasse. Va pour la cheminée donc : je m’y engage sur quelques mètres mais dois me résigner à faire demi-tour car c’est trop soutenu et interactif pour être le bon itinéraire… Retour au relais avec Dom et Marc. La nuit est sur nous : le soleil est en train de descendre sous l’horizon… Il dit être 17h45 voire 18h…

Nous décidons d’appeler les secours, ne serait-ce que pour les prévenir de notre situation. La suite est ubuesque : « veillez brancher vos données mobiles pour vous connecter sur le site internet dont nous vous envoyons l’adresse afin que nous puissions vous géo-localiser ». Euh, en fait, on est sur l’éperon Ouest de la Pointe de l’Armet, à l’altitude 2650m (merci l’altimètre de Marc !). De coups de fil en textos et d’un téléphone à l’autre, la nouvelle fini par tomber : « on ne viendra très certainement pas ce soir ». L’affaire est donc claire : sortir par le haut si l’on ne veut pas passer la nuit ici… Pendant ces simagrées technologiques, Marc, qui a pris la tête de la cordée, parvient, en descendant franchement, à contourner le ressaut par la droite et à rejoindre les pentes de neige tant attendues. Après un magnifique coucher de soleil aux superbes nuances de rose, la visibilité se réduit vite et fort. Alors que l’on redescend (sic !), l’on entrevoit dans la pénombre Marc qui remonte dans la neige pour faire relais.

Arrivés à sa hauteur après un temps interminable (Dom est désormais au bout de sa vie…), on peut enfourcher nos frontales et faire un petit point de situation. Il fait nuit mais il ne fait pas froid (pas encore). Nous sommes déshydratés (nous n’avons plus guère de quoi boire depuis 2 ou 3h maintenant), nous sommes fatigués (Dom particulièrement) mais intègres(pas de blessé). Nous avons de quoi manger (quelques graines), nous couvrir (paires de gants de rechange, doudounes) voire passer une nuit de fortune (couvertures de survie). On a donc 2 options : poursuivre jusqu’au sommet car c’est par le haut que passe la descente ou se faire un abri pour y veiller jusqu’à l’aube. Dom tout comme moi sommes un peu effrayés à l’idée de dormir là. Marc, à l’inverse, ayant déjà vécu l’expérience, dédramatise et nous incite à établir un abri tant que nous sommes dans une situation opportune (pas de vent, pas de froid, une bonne pente de neige pour creuser un trou et s’isoler). Mais je suis alors que le salut passe par le haut et exprime mon angoisse à l’idée de passer la nuit ‘sous la neige’. J’ai de vives craintes de passer une nuit ici, craignant en effet des engelures aux orteils. On a les chaussures trempées à cause de la neige affreusement mouillée et j’ai dans l’idée qu’à 2600m en février, même après une journée fort chaude, le nuit sera dangereusement froide… Dom se rallie à mon avis angoissé. Aussi, Marc, bien que peu enthousiaste, poursuit la trace vers le haut…La neige est toujours aussi peu portante et il est courant de s’enfoncer au-dessus du genou: vive le sucre en poudre !… Nous avançons désormais à une allure larvaire car Dom est à l’agonie… La nuit sans lune n’arrange évidemment rien… Nous remontons malgré tout notre pente de neige à la lueur de la frontale jusqu’à un petit col venté.
Au-dessus, on distingue qu’il nous reste encore un bout, plus raide et surtout plus rocheux. C’en est trop pour Marc qui me convainc (facilement je l’avoue !) de ne pas poursuivre de nuit avec un gars aussi exténué que l’est Dom désormais. On décide donc d’arrêter là les frais : nous nous arrêtons donc sur un becquet – relais en vue de redescendre un poil (moulinette, rappel ou désescalade, qu’importe) pour s’abriter du vent.L’idée de redescendre laisse Dom sans voix. « Après tant d’efforts? » Le concept lui échappe complètement et il insiste pour que l’on rappelle le 112. Marc se saisit de sa pelle et part excaver un trou à même de nous isoler, la demande initiale de secours n’ayant guère abouti… On parvient de nouveau à trouver du réseau et cette fois-ci, les secouristes nous indiquent qu’ils vont pouvoir venir. Yes, bonne nouvelle ! Nous ne comprendrons que plus tard que, dans un état psychologique marqué, les blagues que nous avions faites aux secours lors du premier appel étaient trop douteuses pour les ‘inciter’ à venir… Les secouristes nous donnent la marche à suivre et nous rappellent à au moins 3 reprises pour passer les même consignes : ranger vos sacs, ôter vos crabes, établir un relais béton, … Ok, on a compris, on est fatigués, pas sourds ! Bref, alors que le vent forcit et le froid est de sortie, nous nous réchauffons en lovant les cordes, triant et rangeant le matériel, déchaussant nos crampons (ardu avec le gel qui a pris), renforçant le relais…
L’attente des 30-40min est vite passé et bientôt, on entend la turbine approcher. Après une rotation d’évaluation de la zone, de l’environnement et des conditions, la 2e est pour déposer un secouriste. La 3e permet l’hélitreuillage de Marc, puis, à la 4e, c’est à mon tour d’être hissé dans le Dragon 3. On n’a pas le temps de réaliser ni d’avoir peur : non seulement tout se passe très vite mais surtout il fait une nuit d’encre sans lune donc on n’y voit goutte. Les pilotes sont équipés de lunettes de vision nocturne, tels des militaires en opération : impressionnant ! On est déposé avec le secouriste au village de départ, Lavaldens, en moins de 5min ! Le debrieffing est succinct et tient plus du conseil pédagogique que de la brasse en règle. Puis l’on est alpagués par le maire de la commune (sic !), dérangé en plein conseil municipal et fort étonné d’entendre un hélicoptère survoler son village à cette heure-ci ! C’est lui qui, gentiment, emmènera à son véhicule notre Dom ragaillardi de toucher de nouveau la terre et l’herbe de la basse altitude.Pendant ce temps, nous débouclons nos sacs et trions un peu ce qu’ils contiennent, tout en avalant quelques graines méritées. Puis, au retour de Dom, après s’être vaguement changés, on ira tout de même saluer le conseil municipal et trinquer ensemble (au jus de fruit : on n’est pas en état d’ingurgiter de l’alcool !).
Non qu’il y ai la moindre fierté à notre mode de descente bruyant mais plus par courtoisie et par envie de trouver un peu de chaleur (thermique et humaine) après cette rude journée. Puis nous levons le camp, réconfortés par les cookies de Mélanie. Dom a repris du poil de la bête et roule à bon train pour descendre sur Grenoble. Mais je m’endors bien avant que l’on n’y soit…
Quelques enseignements :
1- 1200m de neige & mixte, même peu soutenu, c’est sacrément long !
D’où l’idée de partir soit ultra-tôt (attaquer la voie au petit jour) ou d’emporter le matos de bivouac
J’ai clairement manqué de discernement sur l’adéquation cordée / itinéraire, les conditions n’ayant rien arrangé…
2- Une face peut être fournie en bas et sèche en haut (merci au vent du Sud…)
3- Quand on est 3, c’est bon, mais c’est aussi bien plus long !
4- ‘Goulotte’ et ‘éperon’ ne sont pas forcément synonymes d’itinéraire évident
5- Maîtriser cascade & touffing sur qq longueurs et remonter un long itinéraire mixte, c’est pas pareil
6- Emmener une personne assez peu expérimentée dans une course de 1200m, c’est pas une bonne idée…
1200m en 11h à 3 (dont 1 personne peu expérimentée), c’est déjà balèze !
7- Prendre son portable en montagne, c’est carrément bien :-). Et capter, c’est encore mieux !
8- Les blagues qu’on fait pour se rassurer, c’est pas du tout fun pour des secouristes engagés en plein taf…
9- Rien que l’idée de passer la nuit dehors à 2700m mi-février en bivouac, ça fait frémir…*
10- Faire un baptême de l’air by night, c’est dangereux et pi c’est nul, on n’y voit rien !
Il n’empêche, un grand merci à eux !
11- Ce fut une belle journée, avec de l’ambiance, des paysages superbes et une bonne cordée de copains pour partager le tout 🙂
*: comme l’exprimera Marc à plusieurs reprises: « on ne peut pas pratiquer l’alpinisme en hiver sans être confronté au bivouac un jour ou l’autre. Il faut absolument dédramatiser cette situation pour pratiquer sereinement et paisiblement cette activité hivernale. Il est donc impératif de s’entraîner volontairement aux différentes formes de bivouacs d’hiver. Dans une grotte de neige la température est positive grâce à l’isolation de la neige remplie d’air et à la chaleur des personnes. Il n’y a pas de risque de gelure. En hiver, en bivouac il faut absolument se protéger du vent, c’est le point essentiel. Donc le trou ou la grotte de neige sont parfaits. L’igloo est plus réservé pour le fun car il est plus technique, chronophage et mouille gants et habits. Je proposerai donc avec1 ou 2 personnes motivées des entraînements spécifiques aux bivouacs hivernaux. L’idée de passer une nuit en bivouac l’hiver ne doit plus faire frémir. Bien au contraire ce peut-être un moment extra-ordinaire. »
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